PsychOdyssey
Recommandé à plusieurs reprises, je me suis enfin lancé dans le visionnage du documentaire PsychOdyssey. Cette série de 32 épisodes (33 avec le Postmortem), soit plus de 20h de contenu, chronique le développement du jeu Psychonaut 2 par Double Fine Productions sorti en 2021.
Le joueur tranquille




PsychOdyssey est évidemment un document rare qui nous permet d'avoir une représentation concrète de ce que constitue le développement d'un jeu vidéo, qui plus est de cette envergure. La proximité des réalisateurs du documentaire avec l'équipe de développement de Double Fine nous permet d'avoir accès à une parole libre, les salles de réunions nous sont ouvertes et même si la présence de la caméra n'est jamais totalement invisible, elle est intériorisée et devient même un ressort comique pour certains développeurs et développeuses, à la manière de The Office. La profondeur de l'immersion de ce dispositif dans un studio de jeu vidéo est absolument unique et tranche avec les makings off ou interviews à visée surtout promotionnels. De manière générale, ce genre de témoignage est rarissime dans une entreprise quelle qu'elle soit. Car Double Fine est aussi ici dans une démarche d'introspection, démarche salutaire tant les processus de développement d'un jeu vidéo sont divers, complexes et les méthodes managériales souvent brutales dans ce secteur qui allie créativité, défis techniques et contraintes économiques.


C'est bien cet aspect qui rend PsychOdyssey passionnant. Double Fine questionne ici ses méthodes de travail en commençant par en garder la trace condensée, en permettant aux employés de s'exprimer en aparté face caméra, en profitant du regard averti des réalisateurs du documentaire qui questionnent les étapes du développement. PsychOdyssey ne s’embarrasse pas tellement de questions didactiques. Les étapes du développement sont décrites naturellement et succinctement par les membres de l'équipe qui en profitent fréquemment pour comparer avec leurs expériences passées. PsychOdyssey s'adresse ainsi aussi aux professionnels du milieu et on se sent pris au sérieux même si on est loin de tout comprendre.


En attendant ce qui me semble inévitable (et en espérant me tromper) PsychOdyssey fait la part belle aux questions créatives. Il nous permet d'assister à des tranches de discussions captivantes, sur l'écriture de Psychonaut 2, sur les choix de level design et de gameplay en lien avec son univers. Le documentaire nous permet de mieux appréhender l'étendu des questionnements nécessaires à la réalisation d'un tel projet. C'est vraiment réjouissant de voir ces personnes si talentueuses prendre ce temps, faire preuve d'une telle précision et de ce niveau de réflexion pour nous apporter le plus de joie et d'émerveillement manette en main. Tout ce travail, sous nos yeux, rend forcément humble et nous encourage à porter un autre regard sur les jeux qu'on a traversés. L'épisode 12 est consacré à l'Amnesia Fortnight. Une gamejam interne au studio qui se déroule sur une dizaine de jours. Un des réalisateurs du documentaire est alors choisi pour gérer une équipe et développer son idée de jeu. On le voit s'investir à fond, faire part de ses doutes et de son stress puis retourner à son rôle derrière la caméra. Il a visiblement touché son rêve et réalise qu'il n'aura sans doute jamais l'opportunité de le revivre. Il représente beaucoup de joueurs passionnés dont le rêve serait de participer activement à la création. Cet épisode nous montre aussi à quel point il est happé par sa réalisation, au point de mettre de côté sa santé physique et mentale. C'est aussi l'occasion d'entendre d'autres développeurs évoquer ce risque, inhérent aux systèmes de production les plus répandus. Ce moment est paradoxal, parce qu'Amnesia Fortnight est considéré comme une pause cognitive pour les membres de l'équipe, qui doivent cependant redoubler d'effort et de temps de travail pour respecter le délai de quelques jours. A l’issue de cette période, certains y voient l'opportunité de continuer sur cette lancée productive. On sent que le crunch n'est pas loin.
PsychOdyssey est réalisé par 2 Player Productions qui est à l'origine de plusieurs contenus sur le développement de jeux comme Uncharted 3 ou Minecraft. C'est en contrepartie du financement participatif de Broken Age que Double Fine a fait appel à la société de production pour réaliser une série de documentaires afin de permettre aux donateurs de suivre la production du jeu. Double Fine a depuis ouvert largement ses portes à 2 Player Productions pour réaliser de nombreuses vidéos disponibles sur leur chaîne YouTube DoubleFineProd dont la série de documentaire qui nous intéresse ici, PsychOdyssey.


PsychOdyssey est aussi une lettre d'amour au studio, à ses productions et à son fondateur Tim Schafer. Son aura est palpable et malgré les boutades et les situations burlesques, on sent un immense respect de l'équipe de production et du studio. Je n'ai joué à aucun des jeux de Double Fine mais ce documentaire donne très envie de parcourir certains des titres. Pour les fans, c'est une véritable mine d'or. Je prendrai le temps de revenir sur la qualité intrinsèque du documentaire, une fois son visionnage terminé.
Je vais donc poursuivre le visionnage du documentaire avec grand plaisir, à petite dose pour en profiter et aussi pour ne pas trop subir par procuration l'intensité des émotions diverses parcourues par les équipes.
JJ'ai d'ailleurs été surpris d'éprouver aussi facilement une sensation de proximité avec l'équipe du studio. Le documentaire consacre les premiers épisodes au développement du premier Psychonaut et c'est forcément touchant de voir le passage du temps avec quelques fidèles encore dans l'équipe. Certains épisodes sont franchement émouvants. Les développeurs et développeuses partagent leur quotidien de travail avec familiarité, font part de leurs états d'âme, de leurs appréhensions. Ils déménagent, d'autres arrivent. Les documentaristes font partie intégrante de l'équipe et on ressent une vraie complicité entre eux et donc par extension avec nous, public. On éprouve ainsi beaucoup de compassion, au point d'ailleurs où certaines discussions, pas forcément houleuses, sont difficiles à entendre. PsychOdyssey prend d'ailleurs soin de mettre un disclaimer au début de chaque épisode pour rappeler qu'il s'agit de témoignages bruts, de moments pris sur le vif au cours de sept années, dans un contexte de travail et donc que les propos peuvent potentiellement heurter. PsychOdyssey nous permet de bien mesurer la difficulté d'organisation inhérente à la création d'un tel projet et à quel point le processus met en jeu émotionnellement les développeurs et développeuses. Le documentaire s'intéresse d'ailleurs avant tout à cette question. Pourtant, malgré l'immersion permise par le dispositif, on sent bien la quantité de variables relationnelles qui nous échappent. Je me suis pris à observer les moindres détails, notamment d'expression corporelle, pour obtenir plus d'information sur les ressentis de certaines et certains. Les développeurs et développeuses restent, pour l'instant, pudiques sur les questions de management et de direction d'équipe. On sent pourtant de nombreuses tensions non adressées frontalement. On imagine aisément que le temps passant, la pression va monter d'un cran et que les équipes auront à faire face à des choix et des situations plus difficiles qu'au début du développement. C'est peut-être à ce moment-là que la parole se libérera un peu plus et que des critiques émergeront plus clairement. Ce qui sera forcément très intéressant.
PsychOdyssey
Je n'en suis qu'à la moitié du documentaire mais je voulais poser ici quelques réflexions sur cette première partie et prendre le temps de me questionner sur la suite.
Ça y est ! J'ai enfin fini cet incroyable documentaire. Ce que je pressentais à la fin de la première moitié s'est réalisé. Les techniques managériales du lead principal ont été plus ouvertement critiquées et même si le documentaire est toujours resté pudique sur la question, c'était une séquence très intéressante. Le pilotage d'un tel projet, par un lead extérieur, est évidemment très difficile, particulièrement dans un studio avec une culture aussi forte et une philosophie créative bien particulière. Cette rupture a permis une approche plus horizontale du développement en laissant plus de place aux leads de chaque pôle. C'était salutaire mais le besoin d'une direction incarnée s'est vite fait sentir et Tim Schafer a finalement pris ce rôle.
Le documentaire nous permet aussi de suivre des événements très marquants, le rachat du studio par Microsoft, l'arrivée du Covid avec la difficulté émotionnelle du travail à distance, la fin du développement sauvée par des rallonges de temps. Mention spéciale pour l'E3 et la présentation de la démo de Psychonaut 2, avec ce contraste entre le sérieux grotesque des journalistes et la joie communicative des fans. Puis la sortie du titre, très particulière, après un an de travail à distance à l’issue de six ans de développement. Le documentaire aborde la question de la culture du crunch frontalement, présente des points de vue différents et l'on voit les cicatrices profondes du développement du premier Psychonaut. Le jeu échappe à une production trop intensive mais on voit les équipes doublement essorée par un développement chaotique et par la crise sanitaire. Reste énormément d'humour et de joie communicative, PsychOdyssey est une lettre d'amour au studio sans cacher ce qu'il a de pire et de meilleur.
L'Episode 33, publié un an plus tard, s'attarde sur le post mortem du jeu et du documentaire. Il est filmé trois ans après la sortie de Psychonaut 2 et revient sur une multitude d'aspects tous plus intéressants que les autres. Les développeur.ses abordent la réception du jeu et l'émotion partagée notamment grâce aux streams. C'est touchant de sentir leur fierté et leur humilité. Un vrai besoin de sentir que leur travail a compté pour le public. C'est d'ailleurs intéressant d'entendre un des designers regretter que peu de ses créations personnelles soient dans la version finale. Car le développement de Psychonaut 2 a laissé des traces durables. Le travail d'introspection est difficile, révèle du crunch "volontaire" pour certains, les anciennes techniques managériales sont à nouveau critiquées tout comme la succession de deadlines repoussées trop tardivement. Malgré un processus de post mortem organisé, certaines situations marquantes sont finalement évoquées de manière presque informelle. Grâce au courage de certaines personnes capable de les aborder. Cela montre bien toute l'ambivalence de ce procédé, essentiel pour améliorer les pratiques mais arrivant soit trop rapidement pour aborder des sujets encore sensibles ou trop tard pour se rappeler de certaines situations. Le documentaire est alors un support essentiel de ce processus, en présentant des témoignages des employés tout au long du développement. C'est visiblement difficile pour l'équipe de revivre ses moments, mais leur permet de mieux comprendre l'ensemble des problématiques. Il en résulte pas mal de frustration de pas avoir eu accès à certaines explications au moment où elles étaient filmées. Ce qui aurait peut-être pu empêcher des départs finalement peu nombreux. Cette introspection a d'ailleurs conduit à l'élaboration de charte au sein du studio. Les documentaristes portent également une autocritique, et reconnaissent que le documentaire présente une version de la réalité devenue "officielle". Ils admettent également qu'ils auraient filmé certains événements différemment. Malgré un rafraîchissement des bureaux, le Covid a aussi bouleversé les habitudes de travail, aux antipodes des pratiques historiques mais aux effets très positifs chez certain.es. Tout une ribambelle de sujets qui viennent apporter des réponses importantes et ajouter de jolis moments de vie au sein du studio.
Je termine par la belle histoire d'Asif Siddiky, passé devant la caméra à la suite de la gamejam interne. Il est finalement embauché comme designer et est à la tête d'un niveau du jeu ! Il est encore chez Double Fine aujourd'hui <3
PsychOdyssey est un document unique. Réalisé sur presque 10 ans, il ouvre une fenêtre sur ce monde du travail artistique si particulier et fantasmé. La réalisation aborde avec respect de nombreuses problématiques tout en rendant intelligible des processus créatifs nébuleux. C'est exceptionnel. Au-delà du jeu vidéo, PsychOdyssey est une aventure humaine forte où l'on retrouve tout ce qui fait la beauté de notre monde et sa complexité. Bravo et merci ! Il me reste à me plonger dans Psychonaut 2, manette en mains !
Conclusion de PsychOdyssey










